Immobilier de rendement

Pas d'inquiétude à avoir

Peut-on encore investir dans l’immobilier résidentiel? D’après Lucie Esquerré, associée chez Helvetadvisors, la Suisse est un marché où il y a peu de risque de grosses fluctuations. Notre interview.

Taux de vacance des logements résidentiels en %
Taux de vacance des logements résidentiels en % - Copyright (c) OFS
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Société de conseil spécialisée dans l’immobilier pour institutionnels, Helvetadvisors a récemment publié une étude sur les grandes tendances qui vient nuancer la plupart des craintes. Notre interview de l’auteure de cette étude, Lucie Esquerré.

En introduction de votre étude, vous indiquez que «les valorisations immobilières tiennent pleinement compte des travaux à réaliser». Autrement dit, les propriétaires ont tout intérêt à aller de l’avant rapidement avec les travaux à réaliser sous peine de se voir pénaliser par le marché et les investisseurs, c’est juste?

Lucie Esquerré, associée chez Helvetadvisorsdiaporama
Lucie Esquerré, associée chez Helvetadvisors

LUCIE ESQUERRÉ: C’est exact. Dans une expertise, on déduit les CAPEX futurs à réaliser de la valeur. Une fois réalisés, il n’y a plus ces déductions à faire. La notion de temps est particulièrement importante notamment sur l’appréciation inévitable des coûts liés: à la pénurie de matériaux; à la pénurie de main d’oeuvre (qu’on se le dise, tout le monde y va en même temps); la rentrée en vigueur de nouvelles lois environnementales; la complexité nouvelle liée aux travaux à réaliser (ex: avant, changer une chaudière à Genève était simple; de nos jours, beaucoup moins – APA, panneaux, récupération et autres). En plus de l’appréciation des coûts, il y a la difficulté de réalisation (projets, autorisations, mécontentement des locataires, risques de la construction,...). Le tout fera que le taux sera considérablement adapté sur le rénové vs le pas rénové. Par exemple: hier, un bâtiment valant CHF 10'000'000 en bon état était auparavant considéré à CHF 8'000'000 s’il y avait CHF 2'000'000 de travaux prévus à moyen terme. Aujourd’hui, on a déjà revu les CHF 2'000'000 à la hausse, notamment avec les changements des lois et des matériaux, à CHF 3'000'000. Et nous avons rajouté un «bonus du taux» pour une valeur de CHF 7'000'000 non rénové vs CHF 11'000'000 rénové. Demain, admettons des travaux à CHF 3'500'000, mais un réel malus et bonus sur les travaux, on aura plutôt (pour le même immeuble), des valeurs de CHF 6'000'000 vs. CHF 12’000'000. En conclusion, la pénalité sera d’autant plus importante avec l’entrée en vigueur attendue de nouvelles lois environnementales, la pénurie attendue de main d’œuvre & matériaux ainsi que la complexité liée aux travaux. A contrario, les bâtiments rénovés seront particulièrement primés.

Vous relevez un paradoxe. Avec la Loi Fédérale sur l’Acquisition d’Immeubles par des Personnes à l’Étranger (LFAIE), le marché suisse se protège des fortes fluctuations en période de crise. Mais ce constat n’est valable que pour le segment résidentiel et non pour les immeubles de bureaux, par exemple?

Oui et non. En théorie, effectivement il ne s’applique qu’au résidentiel et non au commercial. En revanche, l’exposition du marché immobilier suisse aux capitaux étrangers est d’environ 10 à 15%, ce qui est nettement plus faible qu’en Europe (env. 40%). Contrairement à nos voisins, le secteur résidentiel est dominant sur le marché de l’investissement en Suisse, notamment grâce à cette LFAIE. L’immobilier de rendement suisse est donc principalement détenu par des institutionnels suisses; ce qui lui donne son caractère stable. Quand bien même il y aurait une ouverture aux capitaux étrangers pour les immeubles commerciaux, ce dernier segment suit les mêmes tendances que le marché en général. Il bénéficie par ailleurs d’une labellisation «stable» par les investisseurs étrangers qui y rajoutent l’effet de monnaie forte.

Vous pensez que les hausses des taux obligataires devraient entraîner une légère correction des prix de transaction. De quel ordre de grandeur? Une baisse de 1 à 2%?

Nous observons une relation positive entre les taux de rendement obligataires et ceux de l’immobilier (taux de capitalisation). Mathématiquement, une augmentation du taux de capitalisation de l’immobilier provoque une baisse dans les valorisations. D’autre part, nous observons que l’inflation exerce une pression positive sur les loyers, ce qui devrait influencer à la hausse les valorisations immobilières. Dans le contexte actuel, nous estimons que c’est plutôt l’amplitude de la montée des taux qui peut avoir un impact négatif sur les prix. A ce jour, nous n’observons pas encore de correction des prix de transactions, mais estimons qu’une baisse de l’ordre de 5 à 10% est attendue ces prochaines années.

Un investissement dans l'immobilier résidentiel aujourd'hui rapporte environ un tiers de moins que le même investissement il y a 10 ans.

En quoi la forte augmentation des taux directeurs, l’inflation et la pression en faveur de la rénovation du parc immobilier seront des atouts de l’immobilier de demain?

L’augmentation des taux directeurs a naturellement un impact direct et immédiat sur les obligations suisses. L’augmentation du taux obligataire devrait ajuster les rendements immobiliers à la hausse. Sur cette base, on peut s’attendre à une certaine correction qui ne serait pas malvenue, compte tenu de la surchauffe observée ces dernières années. Les investissements immobiliers restent attrayants en période d’inflation; ils confèrent une certaine protection contre l’inflation car les loyers tendent à augmenter avec l’inflation ce qui augmente les revenus par l’indexation partielle des loyers à l’inflation et l’augmentation du taux hypothécaire de référence (avec retard). Enfin, concernant l’impact des rénovations, les valorisations immobilières tiennent pleinement compte des travaux à réaliser. Sur cette base, l’investissement devrait se répercuter sur la valeur une fois celui-ci réalisé car non déduit dans l’évaluation. On observe d’ailleurs déjà sur le marché un appétit grandissant pour les immeubles rénovés en bonne et due forme. Nous estimons que demain, cette «prime» (ou «bonus») dans les taux sera d’autant plus importante en compensation des risques et des aléas des rénovations. A contrario, des malus seront appliqués sur les passoires énergétiques.

Votre étude montre une baisse du rendement net moyen de 4,65 à 3.1% en 10 ans. Autrement dit, l’immobilier résidentiel a rapporté deux fois moins que dans le passé?

C’est en partie exact; la baisse des rendements des obligations et d’autres actifs «à faible risque» ont exercé une pression négative sur les attentes de rendement des investissements immobiliers. Dès lors, on peut dire qu’un investissement dans l’immobilier résidentiel aujourd’hui rapporte environ un tiers de moins que le même investissement il y a 10 ans si on considère un achat à différentes époques ou une revalorisation entre deux. En effet, un immeuble acheté il y a plusieurs années à 4.6% me rapporte toujours 4.6% (voire plus) sur le prix d’achat. En revanche, plus que 3.1% sur la nouvelle valorisation du même immeuble. La perte de rendement doit être couplée à la prise de valeur. Pour les investissements effectués il y a 10 ans, il faut prendre en compte une augmentation de la valeur des biens immobiliers (induite par la baisse des attentes de rendements) d’environ 50%.

Comment voyez-vous l’évolution des loyers ces prochaines années?

Si l’histoire se répète, nous estimons que les loyers vont continuer à augmenter. Comme observé depuis 30 ans, ces derniers suivent et surpassent même l’inflation. Hors inflation, nous estimons que les loyers auraient tendance à se stabiliser voire augmenter en raison du manque de nouvelles constructions. Les deux facteurs réunis ne peuvent prédire qu’une tendance haussière qui ne pourrait être atténuée que par un évènement externe (législateur).